Par le Capitaine James E. Ray, ancien prisonnier de guerre au Vietnam

C’était le 8 mai 1966, au Vietnam. J’essayais d’oublier les semaines qui venaient de s’écouler, depuis que mon avion avait été abattu alors que nous bombardions un pont de chemin de fer sur la ligne qui joignait Hanoi à la Chine. Les interrogatoires s’étaient succédé, interminables, et m’avaient fait regretter de ne pas avoir trouvé la mort. Rien ne pouvait être pire que la désolation que je vivais, et cette terrible solitude…

 

 

Tout à coup, j’entendis quelque chose. Je tendis l’oreille :

--Hé, salut ?

Vite, je me mis à plat ventre pour jeter un coup d’œil sous la porte. Je réalisai que je me trouvais dans l’une des nombreuses cellules qui faisaient face à une étroite cour intérieure, fermée par un mur d’enceinte. Le chuchotement provenait de la cellule voisine. J’y répondis. Mon interlocuteur se présenta sous le nom de Bob Purcell, un aviateur comme moi. Nous attendîmes que le garde eût fini sa ronde pour reprendre notre conversation.

Tous les prisonniers de cette section de la prison ne tardèrent pas à chuchoter, eux aussi, en secret. Nous fîmes connaissance, parlant de nos origines, de nos familles. Un jour, je demandai à Bob à quelle église il appartenait.

-- Catholique, me répondit-il. Et toi ?

--Baptiste.

Après quelques moments de silence, il me posa la question :

--Est-ce que tu connais des versets de la Bible ?

-Le « Notre Père », répondis-je.

-Tout le monde connaît ça. Mais est-ce que tu connais le Psaume 23 ?

-Un peu.

Je me mis à chuchoter le psaume, une phrase après l’autre. Il les répétait après moi. Bientôt, il était capable de réciter tout le psaume à voix basse.

D’autres prisonniers en firent autant, ils se mirent à partager les versets qu’ils connaissaient. À travers ces communications, une véritable communion ne tarda pas à se développer parmi nous. Je ne me sentais plus aussi seul.

De nouveaux prisonniers affluèrent, si bien que nous nous retrouvâmes deux par cellule. Mon premier compagnon de cellule était un mormon. Nos croyances différaient quelque peu, mais nous avions comme dénominateurs communs Jésus et la Bible. Nous écrivîmes ensemble un grand nombre de versets.

C’est ainsi que le partage des écritures devint pour nous un élément vital de notre existence quotidienne. Littéralement torturés par la dysenterie, affaiblis par notre régime alimentaire (riz, choux et soupe au potiron), nos corps étaient devenus squelettiques. Nous passions 20 heures par jour enfermés dans nos cellules. Mais ces versets de la Bible étaient autant de rayons de lumières qui nous apportaient l’assurance que Dieu nous aimait et qu’Il s’occupait de nous.

Nous fîmes de l’encre avec des briques pilées et de l’eau, voire des gouttes de médicaments. Nous écrivions les versets sur des feuilles de papier toilette et nous les passions à d’autres, en les dissimulant derrière une pierre descellée à l’intérieur des WC.

C’était un jeu dangereux. Car il était formellement interdit de communiquer entre cellules. Quiconque était pris sur le fait était condamné à se tenir les mains en l’air au dessus de la tête, debout contre un mur, pendant plusieurs jours, sans pouvoir dormir.

Mais notre désir intense de communiquer ces versets nous poussa à faire preuve d’ingéniosité. Une nuit, mon oreille collée contre la cloison de bois mal équarri de ma cellule, j’entendis des coups répétés. Quelques cellules plus loin, un prisonnier transmettait un message en morse : « J’élève mes yeux vers les montagnes, d’où me vient mon secours » (Psaume 121:1)

Il tapa même son nom, puis fit passer les sept autres versets du psaume, que je m’empressais de griffonner sur le sol en béton à l’aide d’un morceau de tuile. « Mon secours vient du Seigneur, » nous assurait le psaume, et, avec cette assurance, entra Sa présence, qui nous apaisait, qui nous disait de ne pas avoir peur.

Au bout de deux ans, en 1968, nous dûmes encore nous serrer davantage : pendant les années qui suivirent, il nous fallut vivre à quatre dans une cellule qui faisait à peine deux mètres cinquante de côté. Quand on est à ce point les uns sur les autres, la moindre friction peut donner lieu à de violentes explosions. Par exemple, l’un des gars aimait siffler, mais cela avait l’effet de nous taper sur les nerfs. Certains versets, en particulier tirés de l’Épître aux Romains, nous aidèrent à nous supporter les uns les autres.

C’est seulement grâce aux enseignements de Jésus sur le pardon, qui doit être constant, et sur la patience et la compréhension mutuelle, que nous parvînmes à nous entendre. Quant au siffleur, nous lui accordâmes un moment de la journée.

Il me fallut attendre deux ans et demi avant de pouvoir écrire à mes parents. Et ce ne fut qu’un an plus tard qu’on me permit de recevoir ma première lettre. Entre temps, nous avions subsisté grâce à d’autres lettres, des lettres écrites il y a 2000 ans !

Vers la fin de 1970, la plupart des prisonniers américains furent mutés à Hanoi, à la prison centrale. Nous étions 50 à vivre, manger et dormir dans la même grande pièce. Quelle ne fut pas notre surprise de constater qu’un grand nombre d’hommes connaissaient les écritures, et qu’ils les avaient apprises, comme nous, en se les chuchotant, ou en se les passant en morse ou sur des morceaux de papier. Ensemble, nous nous apprêtâmes à célébrer Noël…

Nous avions appris à nous élever au dessus de notre environnement, à surmonter les difficultés matérielles grâce au spirituel. Nous fîmes l’effort de rester alertes intellectuellement. Nous organisâmes des cours de langues, de musique, etc.

De tout cela, nous avons appris une leçon primordiale : la Parole de Dieu demeure inerte tant qu’elle n’est pas gravée dans notre esprit et notre cœur. Mais lorsqu’elle est là, on peut y puiser instructions et réconfort.

Deux années passèrent encore dans cette prison, années d’intimidations continuelles et de maladie, années où nous étions sans cesse tenaillés par la faim. Et durant tout ce temps, nous ne savions même pas si nous allions jamais revoir notre pays… Mais au lieu de perdre la raison, et de nous laisser avilir à l’état de bêtes, nous ne cessâmes de grandir en une communauté d’hommes qui se soutenaient les uns les autres, dans la compassion et la compréhension mutuelle.

En effet, comme le disait l’un des versets que j’avais tapotés sur le mur une certaine nuit : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de toute parole prononcée par l’Éternel » (Deutéronome 8:3). Sa Parole était devenue notre roc, elle nous avait soutenus pendant toute la durée de notre emprisonnement jusqu’au jour de notre libération, jour où, joyeusement, nous reçûmes l’accomplissement de Sa promesse : « Le Seigneur est ma Forteresse, mon Rocher, mon Libérateur. » (Psaume 18:2).